13/01/2025 - INTERVIEW · Bientraitance en action : immersion au cœur de la formation INTERVIEW
Dans une salle transformée en chambre d’Ehpad, soignants et encadrants plongent dans le vif du sujet. Ici, on agit, on simule, on réfléchit. Animé par Bastien Mayras - formateur externe sollicité par le Pôle Formation Recherche - l’atelier du 10 décembre s’est penché sur les subtilités de la bientraitance, entre science cognitive et humanité. Un temps fort pour réarmer les professionnels face aux défis du grand âge.
Comment avez-vous articulée cette formation et quels sont les principaux outils que les soignants pourront appliquer sur le terrain ?
Cette formation est articulée sur 2 temps principaux : en matinée tout d'abord nous abordons les fondamentaux de la bientraitance ainsi que les implications des processus de vieillissement normal et pathologique. Ainsi, s'interroger sur les principes de fonctionnement du cerveau (comment nous apprenons et mobilisons nos ressources cognitives dans nos environnements de travail par exemple) et sur ses dysfonctionnements (comment communiquer sereinement avec des personnes qui ont des troubles par exemple) peut nous amener à favoriser des conduites professionnelles efficaces lorsque nous sommes aux côtés de personnes âgées ayant des conduites déconcertantes.
L'après-midi est dédiée à des séquences de simulation en santé en présence d’une comédienne. Cela soutient simultanément les échanges, la discussion et en définitive la possibilité de mieux comprendre comment les autres travaillent. Ainsi on aura pu montrer comment la bientraitance est une affaire à la fois individuelle (comment je gère les situations en tant que soignant) et collective (comment j'articule mon intervention avec celle des autres pour la meilleure efficacité et le meilleur soin possible). Le parti pris pédagogique est de propose la même formation aux soignants et à leurs encadrants. C'est, selon nous, un des facteurs clés de la réussite de cette action de formation.
Pourquoi avoir choisi la simulation en santé et quels bénéfices cette méthode apporte-t-elle aux participants ?
La simulation en santé est une méthode qui permet de vivre des situations de la manière la plus réaliste possible. : on se trouve dans une reconstitution de chambre d'Ehpad par exemple, avec une comédienne qui joue le rôle d'une personne âgée et malade. Les retours des professionnels sont unanimes à ce sujet : ils vivent ces situations vécues comme "réelles" et oublient, dès leur entrée dans la pièce, qu'ils sont dans un espace de formation. L'autre point très important de cette modalité pédagogique tient au fait que les autres professionnels, qui assistent via une retransmission vidéo à la situation simulée, ont un recul qu'on ne peut pas avoir lorsqu'on y est soi-même embarqué. En substance, cela facilite la prise de distance par rapport à soi-même et amène à remettre en question plus aisément nos propres certitudes sur les questions liées à la bientraitance, aux publics âgées et/ou atteints de pathologies neurodégénératives.
Quelles techniques de communication recommandez vous pour dialoguer avec des patients atteints de troubles cognitifs ?
Notre approche se porte sur ce que les sciences cognitives nous apprennent pour mieux prendre en charge à la fois l'autre dans la relation de soin, mais aussi nous mêmes, en tant que professionnel, avec nos propres biais et freins inconscients. Comprendre par exemple ce que la cécité attentionnelle implique, ou encore le principe des faux souvenirs, ou plus largement le fonctionnement systémique de la mémoire, tout cela nous apporte de précieux outils de communication avec des patients atteints de troubles cognitifs.
Si vous voulez stimuler une personne atteinte d'Alzheimer dans un environnement bruyant et remplis de personnes effectuant diverses activités simultanées, vous prenez le risque de n'arriver à rien de probant. En revanche, si vous dédiez un espace spécifique à ces patients, au calme et en les aidant à focaliser leur attention sur les tâches à réaliser, tout en vous appuyant sur une bonne connaissance des processus mnésiques encore efficaces dans ce type de pathologie, vous aurez plus de chances d'arriver à vos fins. Si nous comprenons ce qu'impliquent les troubles cognitifs, nous saurons comment communiquer efficacement avec les personnes atteintes afin de favoriser au mieux une réponse adaptée de leur part. C'est en adoptant ce principe qu'on pourra soutenir chez elles un développement de compétence et des apprentissages. Car on peut apprendre encore longtemps dans la maladie d'Alzheimer si l'on utilise les bons types de communication et le fonctionnement systémique de la mémoire.
Quels enseignements pour les soignants peuvent être transposés aux aidants familiaux ?
Les outils et ressources proposées aux soignants sont les mêmes qu'on peut proposer aux aidants, même si le statut de l'aidant apporte des contraintes différentes dans la relation à l'aidé. La différence importante entre professionnels et aidants familiaux tient en ce que les aidants familiaux n'ont pas la même distance face aux personnes accompagnées. Le rapport affectif, les liens profonds entre proche, et plus largement la relation aidant-aidé qui a été largement documentée et analysée en sciences humaines,
C'est pourquoi certains outils seront mobilisables plus facilement si l'on est professionnels, et moins efficacement si l'on est aidant familial, du simple fait qu'on ne sera pas perçu de la même façon par la personne accompagnée. Il faut garder à l'esprit que la relation de soin, la relation de bientraitance se construit à plusieurs. Chacun vient donc avec ses propres références, ses propres représentations et donc ses propres a priori. Le plus important reste de considérer son proche comme une personne qui a encore son mot à dire, qui est encore là malgré ses difficultés. Lui reconnaitre cette présence, c'est lui reconnaitre sa dignité. C'est aussi lui permettre (et se permettre à soi-même) d'être encore là, en capacité de construire une relation qui est source d'épanouissement et d'apprentissages mutuels. Je suis convaincu qu'il ne s'agit pas là d'un discours naïf et simpliste. Je constate en effet depuis plus de 15 ans que cette démarche est à la fois très enrichissante pour tous les acteurs concernés, professionnels, personnes accompagnées et familles.